Respect des institutions
Une grande partie de la confusion actuelle vient de l’amplification des défauts de la 5ème république par la méthode centralisatrice du président de la république.
« Nous ne gouvernerons pas avec LFI » a-t-il dit.
Cette phrase souligne la confusion institutionnelle dans laquelle nous sommes depuis 7 ans. Peu-importe avec qui, on n’attend pas du président qu’il gouverne. On attend du président qu’il préside, du gouvernement qu’il gouverne, et du parlement qu’il légifère. L’alignement politique du parlement avec le président, et la méthode centralisatrice d’Emmanuel Macron a permis d’effacer ces distinctions, et de plus ou moins tout faire depuis l’Élysée, plaçant le gouvernement et le parlement dans des rôles de soutien, au lieu de remplir pleinement leurs fonctions. Au point qu’on en oublie presque qu’elles sont censées être distinctes.
On pourrait rétorquer qu’il s’agit là non pas de Macron-le-président, mais de Macron-le-chef-de-mouvement qui s’exprimait. Mais c’est tout aussi problématique : une fois président de la république, il faut être président de toute la France, et pas seulement de son camp. Le président à la fois chef de l’état, chef de parti, chef de mouvement, chef du gouvernement, et chef du parlement est un rôle intenable. Quand il avait le vent en poupe, et que tous les étages s’alignaient, il pouvait profiter de cette concordance, mais dans la configuration actuelle, le grand écart est devenu impossible. Il ne faudrait pas que ce soit la fonction présidentielle qui soit sacrifiée.
Pour qu’il puisse présider, ce qui est son rôle légitime et attendu, Emmanuel Macron doit choisir de d’être président de la république tout entière, et donc renoncer à être chef de tout et partout. Sans renier ses convictions, il ne peut plus se comporter en chef de parti, ni en chef du gouvernement, ni en grand ordonnateur du parlement.
Au passage, cette clarification institutionnelle ouvre la clé de l’équilibre délicat qu’il va maintenant falloir trouver.
Bien sûr, il n’y a pas de majorité absolue à l’assemblée nationale, donc aucun gouvernement ne pourra appliquer sa politique sans que le parlement débatte, amende, ajuste ou rejette… Sans qu’il légifère. Mais c’est tant mieux : l’effacement du parlement derrière l’exécutif n’était de toute manière pas une bonne chose.
Il faut arrêter de chercher un découpage et réassemblage acrobatique des des forces politiques qui permettrait de retrouver l’alignement de l’Élysée de Matignon et du parlement, et qui permettrait de persévérer dans cet effacement des démarcations entre les organes de la république. Ce n’est ni possible ni souhaitable, c’est bien l’échec de cette méthode qui nous amène à la crise politique actuelle.
Voilà donc comment répondre à la question qui intéresse tout le monde aujourd’hui, qui est de savoir comment former un gouvernement sans majorité absolue, sans qu’il se fasse censurer instantanément : chacun doit prendre les responsabilités qui correspondent à son rôle. La constitution, malgré ses faiblesses, est ici un très bon guide :
Le président doit nommer un ou une premier ministre dans le camp qui sort en tête des élections, c’est-à-dire le Nouveau Front Populaire, même si la majorité n’est que relative. Ne pas s’enchevêtrer dans une logique partisane ni essayer d’avoir “son” gouvernement renforcera ensuite son autorité morale à exercer les pouvoirs qui sont constitutionnellement les siens ; ne pas chamailler les attributions des autres protégera les siennes. Qu’il prenne de la hauteur, il en sortira grandi.
Le gouvernement quant à lui, devra avoir la lucidité de reconnaître également que sa position fragile lui impose de traiter le parlement avec égards et respect, sans le réduire à une chambre d’enregistrement ; en acceptant pleinement et non pas à regret que l’action gouvernementale soit contrôlée par le parlement ; et que les lois soient pleinement débattues—et amendées. Les lois qui en résulteront ne seront pas toujours celles que le gouvernement espère, mais c’est à ce prix qu’il lui sera possible d’assumer ses fonctions. La capacité du gouvernement à donner les orientations sera à la mesure de sa capacité à respecter le pouvoir législatif, ainsi que les attributions présidentielles.
Enfin, l’assemblée nationale, à son tour, devra également faire preuve de responsabilité. Si le gouvernement la méprise et cherche à la contourner, alors oui, la censure serait appropriée. Mais si le gouvernement donne bien au parlement les égards qui lui sont dûs et lui permet de remplir son rôle sereinement, la censure serait inappropriée, puisqu’elle chercherait alors non pas à contrôler l’action du gouvernement, mais à se substituer au suffrage universel dans le choix de la ligne politique qui doit conduire la nation.